l'avenir du travail
Faut-il postuler à une offre d’emploi qui ne mentionne pas le salaire ?
Wiggli Team
août 13, 2024
Le salaire est pour 67% des candidats le premier critère qui les motive à postuler à une offre d’emploi. Pour autant, en 2024, on trouve toujours des annonces qui ne mentionnent pas la rémunération. Un fait qui semble en refroidir plus d’un, puisque selon une récente enquête, 46% des personnes en recherche d’un job ne répondent pas aux offres d’emploi si cette information n'y figure pas.
Alors, que faire ? Faut-il entrer en résistance et se concentrer sur les entreprises qui affichent une fourchette de rémunération ? La réponse n’est pas si évidente. Pour vous aider à faire votre choix, nous avons échangé avec des recruteurs et RH, ainsi qu’avec des candidats pour connaître leurs points de vue.
Pas de salaire mentionné, est-ce mauvais signe ?
Pour Dina, consultante RSE, c’est un franc « oui » : L’absence d’informations sur le salaire dans l’offre d’emploi reflète souvent des pratiques salariales internes hétérogènes et inégalitaires entre les femmes et les hommes. Les entreprises prennent ce parti pris pour éviter de créer une crise interne dans la mesure où les collaborateurs pourraient constater qu’ils sont moins bien payés que ce que propose l’entreprise pour le poste à pourvoir. »
Paola Nguimout, talent acquisition manager chez Mars pointe aussi du doigt les employeurs qui indiquent une fourchette de rémunération avec 20k d’écart : « ce n’est pas une information qui permet raisonnablement de se faire une idée précise du salaire. » Notre experte en recrutement tempère en ajoutant que « dans certains cas, les managers ont peur de passer à côté de bons candidats. C’est particulièrement vrai dans les PME ou ils n’ont pas toujours connaissance du budget de recrutement et des grilles de salaires sur le marché. », avant de terminer en insistant sur le fait que, quoi qu’il en soit, il est important pour les candidats de connaître la rémunération pour s'autoévaluer.
Autre reproche qui revient souvent : une organisation qui ne fait pas mention du salaire dans l’offre d’embauche peut faire ce choix par crainte d’être en dessous du marché. Pour ne pas décourager les candidats à postuler, elle préfère taire cette information. Or, pour Mohammed, Customer Succes Manager, « il faut définitivement arrêter de faire perdre du temps aux candidats. À quoi cela servirait-il que tout se déroule bien pour donner à la toute fin de l’entretien un salaire qui désillusionne le candidat ? » Un avis partagé par Isabelle, manager : « pas de salaire, pas de candidature. J’ai rencontré beaucoup de déconvenues à la fin de l’entretien d’une heure. Le « désolé, vos prétentions ne rentrent pas dans notre budget », c’est terminé. Je n’ai plus envie de perdre mon temps. »
« On peut avoir de bonnes surprises »
Cependant, une autre école encourage les candidats à déposer leur CV même si aucun salaire n’est renseigné. C’est notamment le cas de Stéphanie Reniers, CEO chez Gentis qui constate au travers de son cabinet de recrutement que ce n’est pas systématiquement révélateur d’une volonté de sous-payer le candidat recruté : « Certaines entreprises n’ont tout simplement pas de politique de rémunération transparente. Parce qu’elles ont la volonté de garder les salaires confidentiels, elles font le choix de ne pas mentionner la rémunération dans leurs offres d’emploi. Je pense aussi que postuler à une annonce sans mention du salaire peut ouvrir la porte à des discussions plus flexibles et personnalisées sur les attentes salariales et les autres avantages. Par exemple, une start up qui vient de réussir sa levée de fonds et recrute plusieurs commerciaux n’a pas encore de grille de salaires. C’est le niveau de séniorité du candidat qui va définir la rémunération qu’elle va proposer. Il ne faut donc pas hésiter à postuler même si cette information n’est pas renseignée. »
Un parti pris qui semble avoir bénéficié à Amélie, Senior Product manager : « Par le passé, j’ai demandé un salaire qui est le minimum par rapport à mon expérience, et l’entreprise m’a finalement proposé une rémunération plus élevée. » Pour la jeune femme, il est alors important de candidater même à des offres qui ne mentionnent pas le salaire, car on peut avoir de bonnes surprises.
Et le respect dans tout ça ?
Mais pour certains, la mention du salaire dans les offres d’emploi est un sujet plus profond : « je suis convaincu qu’inclure le salaire dans les offres d’emploi est une pratique qui favorise la transparence et le respect mutuel. Cela permet aux candidats d’évaluer l’offre de manière plus complète et de décider si elle correspond à leurs attentes. En tant que recruteur, je pense que cela facilite également le processus de sélection en attirant des candidats qui sont déjà en accord avec la fourchette salariale proposée, ce qui peut mener à des embauches plus rapides et plus satisfaisantes pour toutes les parties concernées. », soutient Mounia, chargée de recrutement. Un avis que partage Olivier, lui aussi recruteur : « c’est une question de respect pour le candidat », et Mohamed : « on projette le fait qu’une entreprise qui paye bien ses salariés est une entreprise qui nous respecte. »
Si Amélie préfère ne pas se fermer de portes et postuler à des offres qui ne mentionnent pas le salaire, le sujet de la rémunération doit cependant être rapidement abordé : « dès le premier entretien, je demande quel est le budget. Si les RH me répondent qu’elles ne le savent pas, je m’arrête là dans le processus de recrutement. Mes expériences passées me font dire que c’est le signe que je serais mal payée, en particulier en comparaison à mes homologues masculins. Dans mon secteur d’activité, nous les femmes, avons malheureusement tendance à demander un salaire inférieur à celui des hommes. Certaines entreprises en profitent en rémunérant moins bien les femmes que les hommes à poste et expérience équivalents. »
Postuler ou ne pas postuler sans mention du salaire ? Une décision avant tout personnelle
Finalement, la décision de postuler à une offre qui ne mentionne pas le salaire est propre à chacun et dépend de plusieurs paramètres : urgence, situation financière, niveau de concurrence, expérience et ancienneté, avantages sociaux…
Pour Alexandra qui cherche un poste de juriste junior depuis un an, la concurrence est forte. Sa priorité est avant tout de gagner en expérience : « je ne fais pas la fine bouche et je postule quand même du moment que je sens être « compatible » avec l’offre. »
Pour d’autres comme Amélie, tout est une question d’équilibre : une culture d’entreprise positive, des horaires de travail flexibles, du home office et une bonne ambiance sont pour elle des critères prioritaires par rapport au salaire. Lors des entretiens, elle n’hésite pas à cuisiner les recruteurs de façon à avoir un maximum d’informations sur le poste et l’entreprise, et de décider si elle est prête à faire des concessions : « j’ai récemment accepté une offre en dessous de mes prétentions. Durant le recrutement, j’ai demandé des informations sur la taille de la boîte, son chiffre d’affaires. J’ai également rencontré les collaborateurs et le manager. On me propose du full remote et j’ai une grande liberté dans mon futur poste. Ce que j’ai vu m’a plu et je suis prête à faire certaines concessions sur le salaire, dans la limite du raisonnable. »
Une pratique à adopter avec prudence pour Ann-Kristin Benthien, CEO de AKB coaching & consulting : « je constate que les femmes ont tendance à ne pas négocier leur salaire si le poste est stimulant. Mais ce n’est pas une raison pour baisser leurs prétentions salariales. » Pour la consultante en management, on peut, par exemple, accepter de faire des concessions après avoir négocié une réévaluation du salaire l’année suivante une fois que les objectifs préalablement définis dans le contrat seront atteints.
Si aujourd’hui la mention du salaire dans l’offre d’emploi fait débat, ce sera bientôt de l’histoire ancienne. Avec la directive européenne du 10 mai 2023 sur la transparence salariale, les entreprises seront tenues, à partir de juin 2026, d’indiquer au moins une fourchette de rémunération dans leurs offres d’emploi.